publié le 05 novembre 2024
Il est désormais bien établi et largement documenté que les pollutions des eaux de baignade en Bretagne sont étroitement liées aux précipitations. Autrement dit, les épisodes de pluie constituent le principal facteur déclenchant des contaminations bactériennes dans nos zones de baignade. Chaque averse entraîne un ruissellement des eaux qui charrient des bactéries présentes sur les bassins versants vers les plages, rendant la qualité de l’eau vulnérable aux variations climatiques.
C’est en partie pour ces raisons que la législation impose à l’ARS d’établir un calendrier, avant la saison balnéaire (en avril). Ce calendrier comporte les dates des contrôles d’eau prévus pour le site de baignade. Le laboratoire agréé chargé d’effectuer les prélèvements est tenu de respecter ces dates, cela permet de certifier que les jours choisis sont bien décorrélés de la pluviométrie (en avril l’ARS ne connaît pas la météo de l’été à venir…).
Notre association a révélé que l’ARS Bretagne avait employé des pratiques jugées condamnables, et effectivement condamnées en 2023 par le Tribunal Administratif de Rennes. Ces pratiques consistaient à écarter certaines données de pollution relevées sur certaines plages dès lors que le maire avait préalablement interdit la baignade en raison de prévisions de fortes pluies imminentes. Cette approche permettait de ne pas intégrer certains épisodes de pollution dans les bilans de qualité des eaux de baignade, malgré l’impact notable connu de ces épisodes pluvieux sur la qualité de l’eau.
Cette manipulation a permis d’améliorer artificiellement les classements de certaines plages, les rendant plus présentables aux yeux du public. Ce subterfuge a eu des répercussions significatives : d’une part, il a freiné la mise en place de mesures correctives nécessaires pour s’attaquer aux causes bien identifiées de la pollution, et, d’autre part, il a pu donner aux baigneurs une fausse impression de sécurité, en leur faisant croire à tort que la qualité de l’eau était conforme aux normes de baignade.
Le jugement de 2023 a mis fin à la pratique consistant à écarter en fin de saison balnéaire les résultats d’analyses révélant des pollutions (injustement qualifiées de pollutions à court terme, PCT), en les remplaçant par d’autres échantillons – ceux permettant la réouverture de la plage, et donc forcément conformes aux normes.
Néanmoins, ce jugement n’a pas suffi à dissiper les doutes : les associations environnementales ont perdu confiance dans l’organisme chargé de la surveillance. D’autres pratiques suspectes, comme le déplacement des points de contrôle loin des sources directes de pollution, telles que les cours d’eau, continuent d’entretenir leurs inquiétudes quant à la fiabilité de la surveillance des eaux de baignade.
Voici ce qui est écrit dans le profil de baignade Labocéa 2018 de la plage de Penfoul à Landunvez (le nouveau profil de cette plage sortira très prochainement avec plus de 4 ans de retard !):
On comprend bien que si l’ARS n’avait pas écarté certaines analyses, le classement de la plage aurait été dégradé, il aurait été « insuffisant ».
D’autre part, il est bien connu que la pluie influence directement la qualité des eaux de la plage, il est même prévu de déclencher une « fermeture préventive » si la pluviométrie attendue dépasse « 10mm sur 48h » (soit environ 5 mm par jour)
Durant toute la saison balnéaire 2024, nous avons eu l’impression qu’aucun des prélèvements effectués par l’ARS sur la plage de Penfoul n’avait eu lieu lors d’une journée pluvieuse. S’agirait-il d’une simple coïncidence, ou sommes-nous influencés par notre nature suspicieuse ? Peut-être avons-nous tendance à voir des pratiques douteuses là où il n’y en a pas… Pourtant, cette constatation a alimenté nos interrogations.
Il fallait qu’on en ait le cœur net.
Pour obtenir des données météorologiques de référence, nous avons consulté le site internet Windguru (www.windguru.cz/9346), qui fournit des archives météo pour différents lieux. Après une analyse des options, nous avons sélectionné le site de Tréompan, le point d’observation géographiquement le plus proche de la plage de Penfoul, qui est au cœur de notre suivi.
Nous avons calculé le cumul journalier de pluie et avons attribué un code couleur pour chaque niveau de précipitation : jaune si le cumul journalier est compris entre 1mm et 4mm, orange s’il est compris entre 4mm et 8 mm et rouge s’il est supérieur à 8mm /24h.
Nous avons ensuite complété le calendrier de l’été 2024 en y incluant les jours de pluie et les jours des contrôles de l’ARS.
La saison balnéaire débute officiellement le 15 juin et termine le 15 septembre en Bretagne. Il y a donc eu 13 prélèvements durant la saison et un prélèvement avant la saison conformément aux règles en vigueur.
Nous pouvons déjà remarquer que l’ARS n’effectue jamais de contrôles durant les week-ends. Ce trou dans la raquette de la surveillance estivale peut compromettre son efficacité, car un pollueur avisé pourrait choisir de se débarrasser de ses déchets à la fin de la semaine, par exemple en déversant ses produits le vendredi en fin après-midi. La nature aurait jusqu’au lundi matin pour diluer et disperser les bactéries.
Notre ressenti de fin de saison se confirme, aucun des prélèvements n’a été réalisé lors d’un jour de pluie.
- Nombre de jours de prélèvements possibles : 65 (on exclut les week-ends)
- Nombre de jours de pluie (parmi ces jours) : 12. La probabilité qu’un prélèvement réalisé aléatoirement (hors week-ends) durant la saison tombe sur un jour de pluie est donc de 18,4 %, donc la probabilité de tomber sur un jour sans pluie est de 81,5 %.
- Le nombre de prélèvements effectués durant la saison estivale est de 13. La probabilité pour que tous les prélèvements effectués durant la saison tombent un jour sans pluie = (0,815)13 = 6,99 %
Comme nous l’annoncions lors de notre Assemblée Générale du 26 octobre dernier, il nous apparaît fort peu probable que tous les prélèvements de l’été 2024 sur la plage de Penfoul puissent tomber sur des jours sans pluie (étant donnée la météo estivale pour le moins humide), et pourtant… de toute évidence l’ARS a eu cet été une chance incroyable, ou a trouvé un moyen de passer entre les gouttes.
L’association Beautifoul s’est apparemment fait la même réflexion que nous, le Télégramme relate en effet cette information dans son édition du 5 novembre 2024 :