16 juillet 2021 – Eaux de baignade : quand le thermomètre est cassé… on cesse de l’utiliser !

Et oui, il ne viendrait à l’esprit de personne d’utiliser le thermomètre suivant :

Il indique encore une valeur, certes, mais son mercure n’atteindra plus jamais les 38°C…

Nous voilà rassurés, nous n’aurons plus jamais de fièvre !

L’analogie est pertinente pour évoquer les classements annuels des eaux de baignade en Bretagne.

APPCL dénonce, depuis bien longtemps, des manœuvres, pour le moins douteuses, qui aboutissent à fausser les classements des eaux de baignade de la Côte des Légendes.

Eau et Rivières de Bretagne, dont notre association fait partie, s’est saisie du sujet courant 2019.

Un groupe de travail a été créé et nos recherches ont débouché, à l’été 2020, sur une plainte auprès de la commission européenne contre la France.

En effet, le non respect de la directive européenne 2006/7/CE, dite directive « eaux de baignade », nous est apparu évident.

Il faut croire que notre dossier a également surpris la commission puisqu’elle s’en est aussitôt saisi.

Nous y dénoncions notamment la mauvaise interprétation de la notion de « pollution à court terme ».

Cette disposition est prévue par la directive européenne, pour écarter les événements accidentels (exemples : troupeau de vaches en divagation sur la plage, tracteur qui se renverse avec sa tonne à lisier qui se déverse dans le ruisseau, rupture d’un poste de relevage du réseau d’assainissement collectif…)

En Bretagne, la pluie était considérée comme la source despollutionsdes plages

Bien sûr, il ne pleut pas des bactéries (pas encore du moins).

Bien sûr, la pluie ne peut pas être considérée comme un événement accidentel.

La pluie, même rare en saison estivale (si si), n’est que le révélateur de la pollution chronique des bassins versants des plages.

La preuve, quand il pleut, les maires concernés ferment simultanément plusieurs plages de leurs communes alors que chaque bassin versant est indépendant. C’est bien que la pollution est intimement liée au ruissellement des sols et donc à ce que l’on y déverse.

Jusqu’en 2020, l’ARS Bretagne considérait qu’il suffisait que la plage soit fermée préventivement par le maire, lors des événements pluvieux, pour admettre que les mesures de gestions adéquates étaient mises en place. Dès lors, considérant qu’une pluie était un événement accidentel, elle écartait quasiment toutes les analyses révélant des pollutions.

Pire encore, nous avons démontré qu’en Iroise, l’ARS remplaçait les analyses mauvaises par celles qui servaient à rouvrir les plages (analyses dites de recontrôle).

Or, ces dernières sont nécessairement au moins satisfaisantes.

(voir l’exemple en bas de page)

Si on enlève les mauvaises pour les remplacer par des bonnes… on a peu de chance d’obtenir une information sincère sur la qualité de l’eau !

Imaginez un professeur de mathématiques, navré par les notes de ses élèves. Pour se rassurer, il pourrait choisir de retirer les mauvaises notes pour les remplacer par celles obtenues après correction. Pourquoi pas… s’il fait profil bas.

Mais si ce même professeur décide se fasse mousser auprès de ses collègues et de sa hiérarchie en arborant ses moyennes de classe flatteuses, la situation devient alors grotesque.

C’est un peu se qui se passe en ce début d’été.

Certains maires s’appuient sur l’évolution positive des classements de l’ARS pour démontrer que l’état des eaux des plages s’améliore.

L’ARS, elle même, dans les colonnes du Télégramme annonce fièrement : « Au niveau régional, « la tendance est nettement à l’amélioration » »

Peut-on encore utiliser le thermomètre de l’ARS ?

Le détournement décelé par Eau et Rivières de Bretagne démontre que les classements sont faussés depuis 2016.

Suite à notre plainte de 2020, l’écartement des analyses mauvaises liées à la pluie a cessé.

(une sorte d’aveu)

Mais comme les classements annuels des sites de baignade sont calculés à partir des analyses retenues lors des 4 dernières saisons balnéaires, les classements de 2017, 2018, 2019, 2020 sont à revoir et les futurs classements de 2021, 2022 et 2023 sont d’ors et déjà faussés.

C’est pourquoi Eau et Rivière a demandé à l’ARS, en mai 2021, de reconsidérer ses classements, en réintégrant, dans le calcul statistique, toutes les analyses mauvaises écartées indûment et en faisant disparaître les analyses de recontrôle qui n’avaient rien à y faire.

Nul doute que les beaux classements de certaines plages y perdraient de leur superbe.

Nous entendons déjà les esprits chagrains accuser les associations de vouloir faire fuir le touriste… mais franchement, pouvons nous continuer ainsi avec des plages fermées préventivement dès qu’une averse se présente et nous contenter de classements auxquels plus personne ne croit.

Nous vivons ici et profitons de la mer toute l’année, nous avons le droit de connaître l’état réel des eaux de notre plage préférée.

La directive européenne « eaux de baignade » est un bien maigre indicateur de l’état des eaux (rien sur les pesticides, rien sur les pollutions aux micro-plastiques, rien que nos deux bactéries témoins E.Coli et entérocoques).

En dénaturant le texte européen, la France a, in fine cassé son thermomètre.

Eau et Rivière de Bretagne demande simplement qu’on le répare afin de permettre à tous de disposer de classements des sites de baignade fiables.

Un exemple vaut souvent mieux qu’un discours :

Landunvez plage de Gwisselier : saison 2018. Voici un extrait du bilan reconstitué par les associations.

  • Noter que 2 épisodes de pollution bactérienne ont eu lieu durant la saison.
  • Noter aussi les dates des analyses suivantes. (2 jours plus tard)

Voici maintenant la page officielle du ministère de la santé concernant l’été 2018  sur cette plage

site du ministère de la santé / Gwisselier 2018

  • Noter qu’aucune pollution n’apparaît dans le bilan de l’été 2018.
  • Noter également que les analyses du 7 juin et du 5 juillet sont elles bien présentes.

Eau et Rivières de Bretagne a réussi, de haute lutte et après intervention de la CADA (commission d’accès aux documents administratifs) à obtenir de l’ARS des documents accablants.

Tout d’abord, le vrai bilan de l’été 2018 à Gwisselier. Celui comportant toutes les analyses réalisées.

Le voici:

Ensuite, les justifications de l’écartement des analyses révélant les deux pollutions:

D’une part, les motifs de retrait sont loin d’être valables et d’autre part, la directive européenne 2006/7/CE interdit explicitement d’introduire les analyses dites de recontrôle dans le bilan estival. 

Ceci est aisément compréhensible car ces analyses permettent de rouvrir la baignade; elles sont de facto au moins satisfaisantes..

L’ARS a retiré 2 mauvaises analyses mauvaises, c’est déjà une pratique bien étrange mais les a remplacées par 2 bonnes… là, c’est clairement illégal.

Gwisselier 2018 n’est qu’un exemple. Le groupe de travail « eaux de baignade » d’ERB a relevé bon nombre de cas similaires dans le Finistère entre 2016 et 2019 et demande à l’ARS de reconsidérer ses classements erronés.

Nul doute qu’avec des classements sincères, les autorités seront plus promptes à s’occuper des causes des pollutions et d’enfin gérer les sites de baignade comme le demande la directive européenne.

Gérer, c’est reconquérir la qualité de l’eau et non seulement retirer les baigneurs de l’eau quand il pleut.

Comparons deux cartes et laissons libre cours à notre esprit de déduction:

Y aurait-il un lien de cause à effet ?

Ou alors ce sont les systèmes d’assainissement des mêmes zones qui seraient à revoir, alors que partout ailleurs tout va bien ?

Ou alors, ce sont les goélands qui ont choisi exactement les mêmes zones (pas de chance tout de même) pour se soulager sur les toits…