mis à jour le 17 février 2022
Lien vers le diaporama des associations, présenté au COPIL LPK du 24/11/2021
La pollution des plages : le problème n’est absolument pas réglé
La qualité des eaux de baignade en Iroise est un problème récurrent depuis des années. A chaque événement pluvieux en été, plusieurs plages sont polluées par des bactéries, ce qui entraîne des risques pour la santé des baigneurs : gastro-entérites, otites…. Le phénomène est tellement connu qu’il en est prévisible, et que ces plages sont généralement fermées préventivement dès que la pluie est annoncée.
Notez que les seules plages polluées sont celles qui se trouvent à l’exutoire d’un cours d’eau ; souvent les plus belles, car le sable y est plus fin, et donc les plus fréquentées. En revanche, les plages éloignées des cours d’eau ne sont quasiment jamais polluées, sauf accident ponctuel (problème d’assainissement individuel, incivilité, accident). Plus intéressant : quand il pleut, toutes ces plages sont polluées en même temps, alors qu’elles ne sont pas sur les mêmes bassins versants.
La surveillance bactériologique des eaux n’est hélas imposée que par une seule directive européenne. L’Agence Régionale de Santé, chargée en France de la surveillance des eaux de baignade a pourtant pris ces dernières années pas mal de libertés avec la loi européenne, notamment en éliminant des statistiques une bonne partie des pollutions constatées lors de la surveillance, ce qui a permis depuis 2016 d’améliorer artificiellement les classements des plages, sinon leur qualité. Ces manipulations et d’autres (comme le déplacement du point de mesure loin des cours d’eau – interdit aussi…) ont été mises en évidence par l’association Eau et Rivières de Bretagne, qui a porté en 2021 au Tribunal Administratif un recours contre ces tricheries de l’ARS. Le dossier est en cours ; en attendant, l’ARS, la CCPI et les communes concernées continuent à porter un message rassurant (« Ayez confiance »), ce qui n’empêche bizarrement pas les collectivités de programmer des travaux d’assainissement multiples et coûteux soi-disant destinés à améliorer la qualité des eaux de baignade.
Qu’en est-il exactement ? Nos associations se sont penchées sur la question, et c’est intéressant…
Les cours d’eau de l’Iroise sont massivement pollués par les bactéries
Le SAGE du Bas-Léon, organisme officiellement chargé de la qualité des eaux en Iroise, a réalisé depuis quelques années des mesures bactériologiques dans certains cours d’eaux d’Iroise. Difficilement accessibles, comme tous les travaux du SAGE, ces mesures sont pourtant particulièrement intéressantes puisqu’elles démontrent que tous les cours d’eau qui se jettent sur des plages polluées régulièrement sont eux-mêmes massivement pollués, et ce toute l’année : massivement c’est-à-dire que non seulement il vaut mieux ne pas s’y baigner, mais qu’il est même déconseillé d’y faire boire les animaux domestiques. De plus les épisodes de pollution maximale y coïncident avec des épisodes pluvieux, et ils sont tous corrélés : quand il pleut, tous les cours d’eau sont pollués en même temps.
Les pollutions descendant logiquement les bassins versants, voilà une explication toute trouvée des pollutions des plages, et qui devrait conduire à relativiser les explications courantes (chiens sur les plages et goélands) : regardons cela de plus près…
Rappel : causes et origines possibles des pollutions
Les bactéries qu’on retrouve dans l’eau douce ou l’eau salée peuvent avoir plusieurs origines, mais celles qui nous intéressent proviennent des humains ou des animaux sauvages, domestiques ou d’élevage. Ces bactéries (mais aussi d’autres microorganismes, comme les virus) arrivent dans les eaux de baignades directement (ex. déjections sur la plage ou dans l’eau), par les eaux pluviales ou par les cours d’eau.
Les bactéries d’origine humaine devraient en principe être éliminées, par un traitement local (ANC, assainissement non collectif, les anciennes « fosses septiques »), ou pour les populations abonnées à l’assainissement collectif par les stations d’épuration. Mais tout ne fonctionne pas toujours très bien, et parfois tout cela se bouche ou déborde.
Les animaux sauvages et les animaux domestiques peuvent laisser leurs déjections sur la plage, dans les caniveaux ou sur les rues, ou dans les cours d’eau ou les abreuvoirs qui y sont reliés.
Enfin, les animaux d’élevage (rappelons que sur le territoire de la CCPI, leur très discrète population est estimée faute de chiffres publics à cinq à 10 fois supérieure à celle des humains) produisent bien évidemment des quantités importantes de déjections, effluents qui sont pour l’essentiel épandus sans traitement sur la plus grande partie de la surface agricole de la CCPI :
en plus des nitrates bien connus, ces effluents contiennent aussi comme ceux de tous les mammifères de grandes quantités de bactéries, qui ne sont généralement pas traitées avant rejet dans la nature.
Toutes ces causes possibles sont identifiées dans les « profils de baignade » réglementaires (mais peu accessibles). C’est aux autorités publiques (communes, responsables des eaux de baignade) qu’il appartient de prendre les mesures de gestion nécessaires pour rétablir la qualité des eaux de baignade, à commencer par la recherche de la cause des pollutions.
L’assainissement, un accusé tout désigné
La première idée – souvent la seule – est que les pollutions sont d’origine humaine et proviennent d’assainissements défectueux. Il peut s’agir de camping sauvage (où les WC sont souvent dans la nature), d’assainissements individuels défectueux (mauvais fonctionnement, mauvais raccordement), ou d’assainissement collectif défectueux (fuites sur les réseaux, pompes ou stations saturées et qui débordent…) : les pollutions se retrouvent généralement dans les cours d’eau. Ces problèmes ne sont pas rares, notamment lorsque les réseaux sont anciens, où que les stations sont saturées l’été par les touristes ; ce n’est pas le cas en Iroise.
L’assainissement est néanmoins un très bon accusé potentiel pour les
pollutions bactériologiques, surtout lorsque la solution unique proposée consiste à étendre le réseau d’assainissement collectif (on pourrait réparer les ANC) : même si ce sont les élus qui le décident, cela ne coûte pas un sou aux collectivités (puisque c’est l’usager qui paie, sans pouvoir participer à la décision), et cela donne par ailleurs beaucoup de travail aux entreprises locales de BTP…
Les animaux sauvages et domestiques : petits pollueurs…
Un autre bon moyen de laisser penser qu’on agit consiste à imposer des contraintes bien visibles, même si leur effet n’est que mineur. Ainsi, les divagations des chiens et des chevaux sur les plages sont interdites en été (par arrêté préfectoral, ce qui évite aux maires de se fâcher avec leurs électeurs…). Leurs contributions odorantes sont certes réelles, mais les flux de bactéries qu’elles contiennent sont ridicules, et bien incapables après dilution de polluer toute une plage, et évidemment encore moins de polluer en même temps toutes les plages par temps de pluie. Les principaux animaux sauvages qui fréquentent les plages d’Iroise sont des oiseaux de mer, mais ils produisent un flux de bactéries limité ; et pourquoi d’ailleurs ne pollueraient-ils que certaines plages, et seulement quand il pleut ?
Au fait, et les animaux d’élevage ?
Quittons le visible, et entrons dans l’invisible, à savoir les porcs et bovins élevés hors sol, mais dont les effluents retournent au sol par les épandages.
Rappelons que selon l’étude de référence en la matière (IFREMER), un porc produit l’équivalent en bactéries de 30 humains, et un bovin l’équivalent de 5 humains. SI l’on traduit en « équivalents humains » ces producteurs de bactéries dont l’imposant cheptel estimé est rappelé plus haut, c’est donc l’équivalent de plusieurs millions d’humains dont les effluents sont finalement épandus sans traitement sur les champs dans la CCPI, et lessivés à chaque pluie. Certes, une bonne partie des bactéries disparaît probablement lors du stockage en fosse à lisier, ou du séjour dans les champs après épandage, mais leur survie est établie par la science : il est donc tout probable que ce soient ces effluents qui soient à l’origine d’une bonne part, sinon de l’essentiel des pollutions des cours d ‘eaux et des plages.
Et le gagnant est l’épandage…
Si l’on s’en tient aux flux de bactéries (soit la quantité de bactéries libérée dans la nature), le bilan est frappant :
- Seuls les épandages peuvent expliquer la pollution chronique (été comme hiver) de tous les cours d’eau de l’Iroise, son importance (qui suppose des flux énormes de bactéries) et la pollution simultanée de tous les bassins versants par lessivage des bactéries contenues dans les effluents et qui ont survécu au séjour en fosse à lisier et sur les terres d’épandage
- Les pollutions liées à l’assainissement collectif sont marginales, parfaitement documentées et ne peuvent pas concerner tous les bassins versants à la fois ;
- Les pollutions liées aux ANC défectueux ne mettent en jeu que des flux faibles et localisés ;
- Enfin, les flux liés aux animaux domestiques et au animaux sauvages sont très mineurs, et ne peuvent en rien être reliés aux épisodes pluvieux.
Aucune campagne sérieuse ne semble pourtant avoir été conduite, par exemple en remontant les cours d’eau par temps de pluie, pour identifier les sources des pollutions et tester cette hypothèse. La CCPI a fini par diligenter une étude agricole… qui ne visait bizarrement pas les épandages, mais les sièges d’exploitation, et qu’elle a astucieusement confiée à la chambre d’agriculture. Qui a naturellement conclu, au terme d’une enquête inaccessible (vous comprenez, il y a des données nominatives…) qu’il n’y avait rien à voir.
Au bilan, on se contente donc de mesurer les bactéries dans les eaux de baignade (lorsque les eaux douces sont diluées, et que se sont mélangées toutes les bactéries de toutes origines), et de rechercher dans ces mêmes eaux de baignade diluées les « marqueurs » providentiels chargés d’indiquer d’où viennent les pollutions.
Providentiels, car ces marqueurs ont le bon goût de voir très bien les pollutions d’origine humaine ou produites par les animaux sauvages ou domestiques, mais plus rarement les pollutions d’origine bovine ou porcine. Ce qui n’est pas forcément étonnant, ces « marqueurs » ne caractérisant pas les bactéries classiques (« Escherichia coli », pour les intimes), qui vivent longtemps, on l’a vu plus haut, mais un autre type de bactéries (« Bactéroïdales ») qu’on trouve aussi en quantité plus faible dans les déjections, qui sont caractéristiques du producteur (humain, bovin, porcin, oiseau…) mais dont la durée de vie est nettement plus faible.
Peu de chance donc après plusieurs jours ou plusieurs semaines de trouver dans l’eau des marqueurs liés aux effluents d’élevage, ils ont disparu… En revanche, les marqueurs qui n’ont passé que quelques heures ou quelques minutes dans l’eau (humains vivant sur le littoral, baigneurs ou goélands qui y sont tout de même chez eux) sont eux facilement détectables (surtout si on les cherche au bon endroit : lavoirs…), et le tour est joué : malgré les flux considérables, les animaux d’élevage et les épandages ont disparu de l’inventaire. L’absence des marqueurs bovins ou porcins ne démontre pas que ceux-ci n’ont pas de responsabilité dans les pollutions !
Il serait facile de lever le doute en menant une vraie campagne de mesures sur les cours d’eau concernés ; du moins si l’on voulait vraiment trouver l’origine des pollutions. Mais le veut-on ?
SAGE, collectivités, Etat : un bilan affligeant
Le bilan des actions conduites ces dernières années pour traiter le problème de la pollution des eaux de baignade en Iroise est pathétique : beaucoup de communication (généralement satisfaite), quelques actes symboliques : interdiction des chiens et des chevaux sur les plages (on n’a pas encore osé faire un arrêté destiné aux goélands, qui ne savent pas lire), ou financement par le contribuable de « pompes à museau » destinées à éviter que les quelques vaches qui vivent encore au grand air en profitent pour polluer les cours d’eau, beaucoup de gesticulations autour des ANC mais quasiment aucune action pour contraindre les usagers à les remettre en état.
La communication officielle est si consternante qu’on finit par se demander si ceux qui diffusent les messages y croient eux-mêmes. Comment peut-on expliquer que les quelques centaines de goélands qui fréquentent les plages d’Iroise puissent décider de se réunir pour y déféquer en groupe, les jours de pluie seulement, et seulement sur les plages où se jettent des cours d’eau ? Et pourquoi maintenant seulement, alors que pendant des années la seule cause des pollutions mise en avant par les collectivités était l’assainissement ?
Tout ceci ne sert finalement qu’à justifier des travaux pharaoniques d’extension du réseau d’assainissement collectif visiblement plus destinés à préparer l’urbanisation future qu’à résoudre des problèmes de pollution, qui viennent au bilan alourdir encore la facture (déjà une des plus élevées de France !) des abonnés à l’assainissement collectif : car finalement, ce sont les seuls qui paient pour les eaux de baignade alors que ce sont eux qui les polluent le moins…
Proverbe d’Iroise : « Quand le sage montre l’élevage, l’imbécile regarde les goélands »
Si on résume les épisodes précédents, on constate que tous les efforts (surtout de communication, d’ailleurs) en matière d’eaux de baignade se sont concentrés sur des causes possibles mais secondaires de pollution bactériologique (assainissement collectif, animaux domestiques et sauvages). Très peu d’efforts ont été faits sur l’assainissement non collectif (pourtant responsabilité des communes, et longtemps désigné comme la principale cause) et rien sur les épandages agricoles, dont personne ne semble avoir entendu parler. Il est vrai qu’en Iroise, il ne fait pas bon parler des épandages, qu’on ne voit pas, qu’on ne sent pas (ou alors, juste des bobos habitués au Chanel N°5) ; les plages ne sont pas vertes, les captages ne sont pas pollués et l’eau potable n’est pas chargée de pesticides….
Il serait temps que nos élus (du moins ceux qui ne sont pas englués dans les conflits d’intérêt avec le secteur de l’élevage …) se décident à regarder la réalité en face et à agir.
Nos associations se tiennent à leur disposition pour leur proposer un plan d’action, ou s’il le faut préparer des recours contre les communes, la CCPI et l’Etat afin de les aider dans ces décisions difficiles.