Les classements des eaux de baignade bretonnes étaient bien faussés !

publié le 26/06/2023

C’est notre association APPCL qui a découvert le pot au roses en 2017.

On trouvait très étrange le fait que les analyses révélant des pollutions durant l’été sur nos plages disparaissent en fin de saison balnéaire, au moment du calcul des classements des sites de baignade.

L’ARS considérait qu’il s’agissait de « pollutions à court terme », il n’en était rien.

Des explications en vidéo

Devant l’ampleur du scandale, nous sommes allés trouver Eau et Rivières de Bretagne, la grande association régionale dont nous sommes adhérents.

C’est donc ERB qui a mené le contentieux administratif. Nous avons créé un groupe de travail comprenant des membres d’APPCL, AEPI et ERB et nous avons travaillé pendant plusieurs années à faire éclater la vérité au grand jour.

Ce que dit le jugement du 22 juin 2023

Nous allons mettre en italiques les extraits du jugement et apporter quelques explications en rouge.

« 7. […] la circonstance que l’autorité responsable de l’eau de baignade décide, pour préserver la santé des baigneurs, de fermer de manière préventive les sites de baignade dont les eaux sont affectées par des ruissellements d’eaux pluviales ne suffit pas à considérer que ces ruissellements et leurs effets constituent une « pollution de court terme », alors qu’il n’est pas sérieusement contesté en défense qu’aucune mesure de gestion adéquate destinée à mettre un terme sans délai à l’épisode de pollution n’est mise en œuvre, dans ce type de situation, pour identifier les sources de pollution, les éviter, les réduire, ou les éliminer. L’association Eau & Rivières est, dès lors, fondée à soutenir que les épisodes pluvieux ne peuvent être regardés comme des pollutions de court terme au sens des dispositions de la directive 2006/7/CE du 15 juillet 2006 et que, par voie de conséquence, les échantillons prélevés au cours des périodes de fermeture préventive des sites de baignade résultant de ces épisodes pluvieux ne pouvaient être écartés des données utilisées pour l’évaluation et le classement des eaux de baignade, en application de l’article 3 de l’arrêté du 22 septembre 2008. »

→ La pluie ne peut pas être invoquée comme une cause (source, origine…) d’une pollution des eaux de baignade. Une pollution à court terme ne peut donc pas avoir pour origine la pluie ou le ruissellement du bassin versant.

→ Le fait de fermer préventivement la plage quand une pluie est prévue est certes une mesure de gestion du site de baignade, mais cette mesure n’est pas suffisante à elle seule pour permettre de classer la pollution mesurée en pollution à court terme. Il faut également rechercher et traiter cette cause de pollution.

« 8. En deuxième lieu, alors que l’association requérante dénonce un classement des eaux de baignade de la région faussé par l’intégration des prélèvements réalisés après les épisodes de pollution pluviale, lesquels ne sont alors ni aléatoires, ni prévus au calendrier, l’ARS de Bretagne, qui confirme qu’une telle pratique est directement contraire aux instructions reçues, se borne à minimiser les conséquences de l’erreur, qu’elle reconnaît, l’ayant conduite à intégrer, pour certains sites de baignade du Finistère, les échantillons de contrôle après épisodes de pollution, dans le calcul du classement. Si l’ARS de Bretagne affirme qu’une telle pratique ne visait pas à améliorer le classement des sites concernés, et n’a pas eu un tel effet, elle n’en justifie pas par les seuls éléments chiffrés qu’elle produit, concernant uniquement les sites de baignade de la mer d’Iroise pour la période de 2013 à 2020. Elle admet d’ailleurs, dans ses dernières écritures, que l’impact de l’écartement d’un échantillon est difficilement prévisible, un épisode de contamination pouvant tout à fait impacter pendant plusieurs années le classement de la qualité des eaux d’un site de baignade. L’ARS ne démontre pas davantage que l’erreur qu’elle a commise dans la méthodologie de classement mise en œuvre n’a concerné que certains sites de baignade du Finistère et n’aurait pas été appliquée à l’ensemble des sites de baignade de la Bretagne. En tout état de cause, dès lors qu’une telle pratique est directement contraire aux dispositions de l’article 3 de l’arrêté du 22 septembre 2008, l’association requérante était fondée à solliciter une correction des classements des eaux de baignade en conséquence. »

→ L’ARS a intégré dans ses classements des analyses dites de recontrôle (analyses nécessairement bonnes puisqu’elles servent à rouvrir la plage suite à une pollution). Ce procédé est formellement interdit. L’ARS avait reconnu des erreurs de ce type mais tentait dans ses écrits d’en minimiser la portée.

Les analyses de recontrôle devront toutes être écartées des classements.

« 9. Il résulte de l’ensemble de ce qui précède, et sans qu’il soit besoin de statuer sur l’ensemble des arguments exposés par l’association requérante, que la décision par laquelle le directeur général de l’ARS de Bretagne a implicitement refusé de procéder à la correction des données de classement des eaux de baignade de Bretagne depuis 2016, pour y intégrer certains prélèvements correspondant à de simples épisodes pluvieux et en exclure les échantillons de recontrôle pris en compte, doit être annulée. »

→ Le juge se contente des deux arguments présentés ci-dessus pour condamner l’ARS Bretagne mais cet article 9 acte le fait que d’autres arguments ont été soulevés par ERB et qu’il n’a pas besoin de les étudier pour statuer. Ces arguments sont par exemple le déplacement vers le large de points de contrôles sur certaines plages.

« Sur les conclusions à fin d’injonction :

10. Il y a lieu, par application des dispositions de l’article L. 911-1 du code de justice administrative, d’enjoindre à la directrice générale de l’ARS de Bretagne de procéder dans un délai de deux mois aux corrections des données permettant le classement des eaux de baignade de Bretagne depuis 2016, conformément aux motifs du présent jugement. La circonstance que les classements effectués depuis 2016 ont fait l’objet d’une transmission et ont été pris en compte par l’Agence européenne pour l’environnement (AEE), dans le cadre de l’élaboration du rapport annuel portant sur les résultats de la surveillance et de l’évaluation de la qualité des eaux de baignade, prévus par les articles 13 et 14 de la directive 2006/7/CE du 15 juillet 2006, est, à cet égard, sans incidence, et ne saurait empêcher ou dispenser la directrice générale de l’ARS de Bretagne de rectifier, pour le classement des eaux de baignade pour l’année 2023, les données retenues à tort et d’informer son autorité de tutelle des données ainsi corrigées. »

→ Le juge ne se contente pas de condamner l’ARS a recalculer tous les classements des plages de Bretagne depuis 2016 mais demande à ce que les corrections soient faites dans un délai de deux mois. Il suffira pour cela de réintroduire dans le calcul des classements des sites de baignade les pollutions indûment qualifiées de pollutions à court terme, d’en extraire les analyses de recontrôle qui n’avaient rien à y faire et de publier les classements corrigés.

ERB et APPCL auront bien entendu un œil attentif sur les corrections apportées. Nous attendons une complète transparence. Cela n’avait pas été le cas pour les 11 plages de l’Iroise qui ont servi de base à notre contentieux.

Nous avons en effet dû recourir à la CADA (commission d’accès aux documents administratifs) pour obtenir les informations et saisir nous même les centaines de résultats d’analyses dans des tableaux Excell car ils nous ont été transmis sous forme d’impressions papier au lieu de les transmettre par informatique.

«  D É C I D E :

Article 1er :

La décision implicite par laquelle le directeur général de l’Agence régionale de santé de Bretagne a refusé de procéder à la correction des données des classements des eaux de baignade de Bretagne depuis 2016 est annulée.

Article 2 :

Il est enjoint à la directrice générale de l’Agence régionale de santé de Bretagne de procéder à la correction des données de classement des eaux de baignade de Bretagne depuis 2016 conformément aux motifs du présent jugement, et dans un délai de deux mois à compter de sa notification.

Article 3 :

L’Agence régionale de santé de Bretagne versera la somme de 400 euros à l’association Eau & Rivières de Bretagne au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 :

La demande présentée par l’Agence régionale de santé de Bretagne sur le fondement de l’article L. 741-2 du code de justice administrative ainsi que ses conclusions présentées au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.»

Cette victoire vient ponctuer plusieurs années de recherches, d’investigations de calculs, de rédaction d’études sur la qualité des eaux…

Nous espérons maintenant que cette décision du tribunal administratif de Rennes va signifier la fin des « tripatouillages » des classements des plages car ce n’est surement pas en faussant le thermomètre qu’on améliore la qualité des eaux de baignade.

On peut même espérer qu’avec la bonne application de la directive 2006/7/CE, nos responsables soient contraints de se retrousser les manches et d’agir pour améliorer la situation des plages à problèmes.

Notamment en réfléchissant à deux fois avant de signer des arrêtés d’extension d’élevages industriels dans des secteurs tendus… suivez mon regard.