21 mai 2021 – Episode 2 : La politique du « fait accompli », la plaie bretonne

Nous vous avions laissés, suite à l’épisode 1 de notre saga printanière consacrée au rejet des eaux usées traitées à Lanildut, avec un dossier de déclaration entièrement bidonné.

D’ailleurs, pourquoi a-t-il été rédigé ainsi ? Tout simplement pour s’engouffrer dans une brèche administrative.

En effet, la procédure qui aurait dû être suivie et celle de l’autorisation préfectorale.

Une telle procédure implique la réalisation d’une évaluation environnementale indépendante (par l’autorité environnementale) et la tenue d’une enquête publique dans les mairies concernées. (Porspoder pour la station de traitement et surtout Lanildut pour le rejet!!!)

La CCPI n’aurait jamais pu obtenir gain de cause pour rejeter les eaux traitées à Saint Gildas par ce biais.

Notamment car le SDAGE* Loire Bretagne interdit les rejets dans les zones portuaires, car tout rejet doit se faire en dessous de laisse de basse mer, car le site choisi pour le rejet est une zone doublement classée Natura 2000, car le rejet se ferait en zone ZNIEFF (Zone naturelle d’intérêt environnemental faunistique et floristique), car il impacterait le parc marin d’Iroise, la zone conchylicole de Porscave, les plages de Lanildut…

De plus, contrairement à ce qu’a laissé entendre la CCPI dans son dossier de déclaration, il y a des habitants à Lanildut, il y a même des gens qui vivent et travaillent autour de l’anse Saint-Gildas !

Ce fameux dossier de déclaration d’avril 2018 a donc été entièrement rédigé de manière à éviter la

procédure d’autorisation pour le moins contraignante. C’est la procédure de déclaration qui a été choisie (à tort). Cette procédure est en principe réservée aux projets mineurs, et le préfet peut après analyse de ses services l’accepter par un simple récépissé, accompagné ou non de prescriptions spécifiques.

Sur la base de ce dossier où figurait, comme option retenue, un tracé qui évitait toutes les zones humides, le Préfet du Finistère, en poste en 2018, a produit un arrêté autorisant les travaux de « mise en conformité de la STEP de Saint Dénec » et le déplacement du rejet des eaux traitées.

Il a été trompé par la CCPI.

Nous n’avons pas encore compris les motivations qui ont mené la CCPI, dès juin 2018 (2 mois seulement après le dépôt de son dossier ), a adresser au Préfet un « porté à connaissance »**.

Nous venons à peine d’obtenir communication de ce document jusqu’alors jalousement gardé secret (en mai 2021 !)

Ce courrier de deux pages informe les services du Préfet que le tracé étudié dans le dossier de déclaration sera modifié. Extrait : « Les tracés 1 bis et 2 bis sont abandonnés. Ils sont remplacés par deux nouveaux tracés excluant les zones humides (plan annexé au présent courrier). »

En guise de plan annexé à ce courrier, une vulgaire vue satellite sur laquelle n’apparaissent ni les zones humides, ni les rivières !

Ce « porté à connaissance » a donc à nouveau trompé les services du Préfet.

En effet, si la CCPI avait réutilisé la carte servant de support dans son dossier de déclaration, au lieu de cette vue satellite, le Préfet aurait vu, en un clin d’œil, que toutes les zones humides du secteur allaient être traversées (et même deux rivières !)

On peut d’ailleurs s’étonner que ses services n’aient pas détecté la supercherie.

Nous avons reporté en bleu le tracé réalisé sur le document initial, celui présenté dans le dossier de déclaration d’avril 2018 (en rouge le tracé indiqué dans la déclaration initiale adressée à la préfecture)

La canalisation traverse à 6 reprises des zones humides et même deux ruisseaux !

Document produit dans le « porté à connaissance » de juin 2018 : on n’y voit ni les zones humides ni les ruisseaux

C’est en l’état que nous avons découvert, au printemps 2020, au sortir d’un long confinement, que les travaux réalisés n’avaient rien à voir avec ceux étudiés dans le dossier de déclaration.

(voir nos articles de l’époque)

Quel besoin la CCPI avait-elle donc de réaliser, en toute urgence, ce chantier, alors que les témoins gênants étaient enfermés chez eux ?

Sûrement pas la date de validité de l’arrêté préfectoral puisque ce dernier était caduc depuis 2019 !

Sûrement pas l’état présenté comme désastreux de la plage de Melon puis que cette dernière est en fait classée en état « bon » par l’ARS.

Sûrement pas non plus la solution de rejet actuelle qui est en œuvre depuis près de 20 ans sans avoir causé la moindre pollution majeure.

Découvrant que le chantier en cours n’avait absolument rien à voir avec celui étudié et que les engins de chantier étaient en train de défoncer la campagne et les zones humides, les associations ont demandé une inspection de la police de l’eau.

Les inspecteurs diligentés sur place ont découvert une situation bien loin du tableau idéal dépeint par la CCPI.

Le chantier a été arrêté « en attendant de trouver une solution acceptable sur les 500 derniers mètres de la canalisation ».

De forts risques d’inondation d’eaux usées traitées ont été soulevés à cette occasion.

Et oui, car si vous lâchez de l’eau dans une canalisation avec un dénivelé de 16 mètres, il y a de fortes chances qu’elle acquière de l’énergie !

(les schémas suivants ont été réalisés par nos soins)

Ce risque d’inondation a d’ailleurs été relevé par les services de la CCPI eux-mêmes, la DDTM et l’équipe municipale de Lanildut, en place en 2018.

Cette solution de rejet, appelée solution a), a donc été écartée en novembre 2020 par un avis défavorable de la DDTM (police de l’eau).

Afin d’éviter les inondations d’eaux traitées, la solution trouvée, en première intention, a été la pose d’un clapet entre le ruisseau de Traon Meur et la canalisation.

La pose d’un clapet n°2 empêcherait, certes, les eaux traitées de remonter par le ruisseau mais le risque d’inondation (moindre) demeure lorsque le débit du Traon Meur est important et que le clapet n°1 est sous le niveau de la mer (celui qui empêche la mer de remplir le parking Saint Gildas à marée haute)

Cette solution b ) a également reçu un avis défavorable de la DDTM en novembre 2020 pour

risque d’inondation de la rivière de Traon Meur. Cette dernière ne pouvant plus rejoindre la mer au

moment où le rejet d’eaux usées traitées se fait.

Voilà pourquoi, en juillet 2020, la CCPI a envoyé au Préfet un nouveau « porté à connaissance »**.

Ce document est tout aussi malhonnête que les précédents (nous ne rentrerons pas dans le détail…)

Une solution c) y est présentée.

Pour éviter les risques d’inondation, la CCPI a choisi de percer une canalisation entièrement indépendante de la buse qui permet au ruisseau de rejoindre la mer.

Cette solution implique de creuser la digue et d’y installer un nouveau clapet sur le perré.

L’idée est techniquement séduisante mais un bel os est venu doucher les espoirs de laCCPI.

L’avis favorable de la DDTM a bien été délivré pour cette solution c) mais il a été émis sous réserves. Et parmi ces réserves, la nécessité de réaliser une évaluation environnementale !!!

Cette solution c) aurait toutefois le mérite d’écarter le risque d’inondation sans pour autant résoudre les atteintes à l’environnement.

Suite aux référés déposés par les associations Eau et Rivières, AEPI et APPCL et jugés en avril 2021, la caducité de l’arrêté préfectoral de 2018 a été mise en évidence. D’autre part, il y a été établi que si le rejet se faisait sur l’estran, une étude environnementale était automatiquement nécessaire. Or, c’est exactement ce que la CCPI fuit depuis le début de cette affaire grotesque, consciente que son beau projet n’y résisterait pas.

Catastrophe !!! que faire ???

Une énième manipulation bien sûr !

Le président de la communauté de commune a écrit au Préfet pour lui demander de signer, en catastrophe, un nouvel arrêté, en croisant les doigts pour que la juge des référés admette que si on rejette de l’eau dans une buse à 90 m de la mer… elle n’en ressort jamais. (bienvenue à Poudlard***!)

Outre le fait que la CCPI admet sans discuter que l’intégralité des travaux a été menée sans la moindre autorisation valable, elle y demande la modification de l’article 10 en écartant l’allusion au rejet qui se ferait dans l’aber Ildut (surligné en jaune) par la phrase (en vert) dans laquelle le rejet se ferait dans un ruisseau canalisé.

Cela signifie que la CCPI demande, sans la moindre explication, de revenir à la solution a) ou à la solution b), ce qui revient à exposer la zone à un risque sérieux d’inondation.

Ainsi, la CCPI préfère risquer la sécurité des habitants de Lanildut plutôt que de se risquer à devoir réaliser une évaluation environnementale. C’est affligeant.

Il aurait même été demandé expressément aux entreprises de travaux publics de ne pas utiliser le clapet anti-retour, pourtant installé sous le parking, toujours pour pouvoir se passer de cette évaluation environnementale !!!!

Récapitulons :

Finie la solution c), finie la solution b), retour 3 ans en arrière à la solution a), la pire de toutes.

Celle qui a reçu un avis défavorable de la DDTM (police de l’eau)

Celle qui va inéluctablement entraîner des inondations d’eaux traitées à Lanildut.

Celle qui risque de fragiliser la digue conçue en 1860 et la canalisation ancienne que le rejet va bientôt squatter…

Et oui, car en plus du risque d’inondation, c’est le risque de submersion marine qui pèse dorénavant sur les habitants et usagers de Saint Gildas.

Car rejeter à haute pression de l’eau dans une buse ancienne, qui n’a pas été calibrée pour cela, c’est très risqué, d’autant que le rejet n’est autorisé qu’à marée très haute ! ». (6 m maritime)

Carte de submersion marine

Anse Saint-Gildas par marée de 110 (le parking est nettement sous le niveau de la mer!)

Les habitants de Lanildut ont décidément peu d’importance pour ceux qui manœuvrent dans ce dossier.

On appelle cette façon d’agir la politique du « fait accompli ».

On falsifie les dossiers d’instruction, on fait les travaux en catastrophe et si quelqu’un se plaint, on demande au Préfet de régulariser la situation…

Cela ressemble bigrement aux pratiques des éleveurs industriels qui défigurent notre beau pays… et à y regarder de plus près, si la CCPI agit ainsi, c’est peut-être par déformation professionnelle…

D’ailleurs, le préfet aussi, car il n’a pas hésité une minute – comme pour la plupart des demandes de régularisations d’extensions illégales d’installations industrielles, à régulariser les travaux illégaux en signant le nouvel arrêté, engageant ainsi sa responsabilité tant pour les impacts environnementaux potentiels que pour les risques d’inondation.

Au bilan ? Un véritable festival de magie administrative…

– La CCPI présente à la préfecture un dossier trompeur pour faire croire à un projet mineur relevant de la simple déclaration

– le préfet et ses services n’y voient rien – ou regardent ailleurs – et signent un récépissé : feu vert, vous pouvez y aller

– la CCPI signale l’air de rien qu’elle doit modifier le tracé prévu (simple « porter à connaissance ») ; les services de la préfecture n’y voient aucun problème (ou regardent encore ailleurs)

– ravi sans doute de mettre enfin la STEP de St Dénec en conformité, et de pouvoir en rendre compte au ministère, le préfet signe un arrêté légalisant tout cela : n’oublions pas que la France est mise en difficulté à Bruxelles, justement parce que trop de stations d’épuration ne sont pas aux normes, cela en fera une de moins… D’ailleurs, le préfet vient lui-même féliciter la CCPI de ses efforts à l’atteinte de ses propres (si on veut…) objectifs

La station de traitement de Saint Débec n’était pas aux normes avant, simplement parce que son autorisation n’était que provisoire depuis le début, mais qu’elle n’était pas polluante pour autant. Mais aujourd’hui elle est autorisée formellement, alors que c’est maintenant qu’elle risque d’avoir le plus d’impacts !

– la CCPI laisse passer la date de fin de validité de l’arrêté… mais finit par réaliser quand même les travaux illégaux (pendant le confinement COVID), défonçant à coups de bulldozer 4 ou 5 zones humides protégées ;

– pas de chance, les associations découvrent la supercherie et alertent la préfecture ;

– bien obligée de regarder ce qu’elle n’avait pas voulu voir, la police de l’eau fait suspendre les travaux, le temps que la CCPI trouve une solution (ou peut-être le temps que les associations passent à autre chose…) ;

– la nouvelle solution de la CCPI est encore pire que l’ancienne !

– qu’à cela ne tienne, le préfet regarde de nouveau ailleurs et signe un nouvel arrêté

– et pendant que la juge des référés voit l’eau usée traitée disparaître dans une buse avant une digue sans se demander si par hasard elle ne va pas ressortir quelque part, les travaux se terminent…

Auront disparu successivement dans ce dossier : les habitants de Lanildut, les zones humides, les risques d’inondation, l’eau qui rentre dans les buses mais n’en sort pas, le clapet qui protégeait de l’inondation, les mensonges et les fraudes, et l’honneur des services chargés de faire respecter la loi. C’est magique !

On sent vraiment que nos autorités ont le souci de l’environnement, de la sécurité et de la qualité de vie de leurs citoyens, cela fait chaud au cœur.

* SDAGE : schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux.

** Un « porté à connaissance » est un document qui apporte des informations nouvelles, en l’occurrence une modification très importante qui aurait justifié une nouvelle demande…

*** Poudlard est l’école des sorciers dans Harry Potter (pour les non connaisseurs…)