Sortez les mouchoirs !

Le 23 mars dernier, le Télégramme titrait en première page « Porcherie de Landunvez : Je n’ai rien n’a cacher, affirme son gérant ».
Puis, dans une page entière du cahier Région et une page du cahier local, il déroulait sans le moindre contradicteur tous les éléments de langage des communicants de la FNSEA.
Cela s’apparente davantage à un publireportage qu’à un réel travail de journalisme.

Article de la page régionale du Télégramme du 23/03/2023

Un lecteur nous a contactés pour nous faire part de sa réaction face à ce texte, son analyse synthétique et ironique est fort intéressante :

« En gros, ce qui reste du récit de la presse, c’est que « comme d’habitude un groupe d’écolos bobos en veulent à un brave paysan du coin qui ne veut que faire son travail pour nourrir les gens et participer au développement local de l’économie« .
Qui plus est, comme le préfet donne raison à l’exploitant, la loi apparaît être de son côté et pas de ceux qui l’attaquent. »

Voilà en effet l’objectif escompté : instiller dans la population une sorte de pitié pour ce brave monsieur, harcelé par de vilains « bobos argentés » comme M. Bizien nous a qualifiés au micro de France 3 le jour de la marche citoyenne d’août dernier à Landunvez.
Décortiquons tout cela afin de remettre l’église au milieu du village.

Étape 1 : Dénigrer ses détracteurs

Vos adversaires vous ennuient ? Traitez-les d’ « Écolos bobos« , « bobos argentés« , « khmers verts » ! Bref, il s’agit de coller une étiquette à son détracteur pour le dénigrer sans même avoir à argumenter.
Vous n’êtes pas pour les élevages industriels ? Vous êtes un écolo ! Vous militez contre ? Vous devenez bobo !
Pourtant, il serait intéressant de développer un petit peu. C’est quoi un bobo au fait ?

Les membres des associations et des collectifs sont bien loin d’être stéréotypés.
Ils viennent de tous bords politiques, de toutes obédiences mais ils ont en commun la détestation d’un modèle agricole industriel qui détruit tout sur son passage.

Étape 2 : Se faire passer pour un brave paysan du coin

Si Avel Vor était effectivement une ferme il y a bien longtemps, elle ne l’est plus depuis belle lurette.

1985

Photo satellite de 2012, secteur est-Landunvez

2012

Extension autorisée par le préfet en 2008 → 6 668 Animaux équivalents.

Photo satellite de 2012, secteur est-Landunvez

2015

Extension autorisée par le préfet en 20138 965 Animaux équivalents.

+2 300 animaux !

Image satellite de 2015, suite à l’extension de 2013

2018

Extension autorisée par le préfet en 201612 090 Animaux équivalents.

+3 100 animaux !

image satellite de 2018 suite à l’extension de 2016 et les travaux de 2017

Sans l’intervention des associations environnementales, en 2016, où en serait le cheptel d’Avel Vor en 2023 ?

Au rythme de + 678 animaux par an (rythme de 2008 à 2016), on en serait aujourd’hui à 16 836 Animaux équivalents !!!!
Quand vous êtes à la tête d’un élevage industriel de ce type, entièrement hors sol, vous n’êtes plus un fermier, vous n’êtes plus un paysan (au sens noble du terme) vous êtes un industriel et vous devez être traité comme tel.
Notre éleveur industriel local, ne lui enlevons pas cela, c’est le fils de l’ancien maire de Landunvez pendant près de 20 ans (ça aide), et il est tout sauf un petit paysan.

Philippe Bizien est à la tête d’Evel’Up, la seconde coopérative porcine de France, il dirige également Evalor, le n°1 des méthaniseurs, il dominait jusqu’à il y a peu le CRP (le puissant comité régional porcin)…
Bref, le brave paysan est en fait un puissant homme d’affaire et un lobbyiste redoutable.
Son lobby agro-industriel a tissé sa toile dans tout le Finistère nord en plaçant à tous les postes décisionnels certains de ses sbires.
Du député local au bureau du Syndicat des eaux, où l’on est censé œuvrer pour préserver la ressource, tout le monde lui mange dans la main.

Le Finistère nord sera le pays du cochon industriel, quel qu’en soit le prix !

Étape 3 : Rabâcher que vous êtes là pour « Nourrir les gens et participer au développement local de l’économie« 

Vous avez sûrement entendu parler de la fameuse « souveraineté alimentaire »… On la sert à toutes les sauces en ce moment.
C’est vrai quoi, à cause de ces « écolos bobos », on va perdre notre souveraineté alimentaire !
Voici la définition initiale du mot :
« La souveraineté alimentaire est le droit des peuples à une alimentation saine et culturellement appropriée produite avec des méthodes durables, et le droit des peuples de définir leurs propres systèmes agricoles et alimentaires.« 
https://foodsecurecanada.org/fr/qui-sommes-nous/la-souverainete-alimentaire-quest-ce-que-cest

On en est bien loin dans le pays d’Iroise. Il faudrait pour s’y nourrir, manger du cochon, du cochon et encore du cochon, un peu de lait (de moins en moins) et si vous arrivez à chiper un peu de maïs aux cochons, quelques céréales pesticidées.
A Landunvez par exemple, si tous les cochons qu’Avel Vor produit servaient à nourrir les habitants de la commune, ils devraient ingurgiter chacun près de 18 porcs par an ! Soit près de 1800 kg de porc…
En fait de souveraineté alimentaire, cette industrialisation de l’élevage qui concentre à la pointe bretonne la majeure partie du cheptel français, vise à exporter hors du territoire de la viande bas de gamme.
Mais cette industrie porcine phagocyte tous les autres modèles agricoles en s’accaparant les terres pour pouvoir étendre son lisier et pratiquer la monoculture du maïs.
Le petit paysan local est en fait un gros industriel qui participe à la destruction de l’agriculture locale qui elle seule permet de viser la vraie souveraineté alimentaire (produire sur le territoire tout ce qui est nécessaire pour nourrir sa population : viande, légumes, céréales, lait, etc.).

Quant aux emplois… c’est une blague sans doute !
L’extension de 2016 était motivée, dans le dossier de l’éleveur, par la création d’1/2 emploi.
Chez Avel Vor, pour produire 26 000 porcs par an, il ne faut que 8 employés.
Nous respectons ces travailleurs et ne voulons surtout pas les blâmer. Toutefois, mettre en avant ces 8 emplois quand autour de vous des dizaines de petites fermes sont en train de disparaitre, avalées toutes crues par les élevages industriels voisins, c’est un peu indécent.
8 emplois, c’est quoi ? 2 petits restaurants ? Une école de voile ?
1/2 emploi pour produire 3 400 animaux équivalents de plus ! Le jeu en vaut-il la chandelle ?
Pourrir tout l’environnement d’un pays pour 1/2 emploi… Il vaudrait mieux faire profil bas quand on avance de tels arguments. Chaque élevage à taille humaine qui disparaît emporte avec lui les travailleurs qui le faisaient vivre.

Et l’économie locale dans tout cela ?

Ne peut-on rien faire d’autre en Iroise que du cochon industriel ?
Nous disposons pourtant de nombreux atouts et en premier lieu d’une magnifique côte reconnue dans le monde entier comme l’une des plus belles.
Nous avons des plages, des vagues, du vent…
Bref, nous disposons d’un potentiel touristique important avec le développement de l’écotourisme (tourisme vertueux recherché par les amoureux de la nature). Ce secteur est, lui, très pourvoyeur d’emploi, mais comment vendre la nature quand l’atmosphère est rendue irrespirable à cause des épandages massifs de lisier (là encore, rien à voir avec
l’odeur de la ferme, ce lisier est un déchet industriel), quand les plages sont fermées une bonne partie de l’été à cause des risques de pollution bactériennes, quand l’eau du robinet est à peine potable et coûte une fortune ou quand notre campagne verdoyante a laissé la place à des étendues de maïs à perte de vue… ?
Voir notre capsule vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=l3_gKHrjtQc

Étape 4 : Clamer sur tous les toits que tout est en règle.

Avant 2016, personne ou presque n’avait osé aller à l’encontre de la famille Bizien.
Quand cette année-là le Préfet du Finistère a autorisé la troisième extension de l’élevage en seulement 8 ans, transformant le gros élevage local en mastodonte, doublant presque son cheptel, la réaction populaire est née.

Trop c’est trop entendait-on à l’époque.

3 associations se sont réunies pour déposer un recours au tribunal administratif dès 2016, mais cela n’avait apparemment aucune importance pour Avel Vor.
Vite, les travaux ont débuté… tout de suite, sans même attendre la réponse du tribunal.
Il fallait aller très vite pour que tous les bâtiments soient construits et que tous les cochons soient au rendez-vous avant que la justice ne se prononce.
On appelle cela la technique du fait accompli.
Vous voulez construire sans permis ? Pas de problème, construisez sans attendre, une fois votre bâtiment en place, on ne va tout de même pas vous demander de le détruire !
Quand en 2019 le tribunal administratif a annulé l’autorisation préfectorale, Avel Vor était parfaitement hors la loi puisque les 3 400 porcs en trop étaient sur place depuis 2017.
Le Préfet a alors délivré une autorisation provisoire (en attendant régularisation !).
L’éleveur a fait appel et le jugement final est tombé en novembre 2021.
L’autorisation préfectorale a été définitivement annulée.
Qu’à cela ne tienne, le Préfet a choisi de régulariser la situation d’Avel Vor… Ben oui, on allait pas lui demander de détruire quand même !

Rebelote, nous voilà repartis pour 6 nouvelles années de procédure judiciaire dont on connaît déjà l’issue (sauf énorme surprise puisque le dossier est peu ou prou le même).

Pendant ce temps-là Avel Vor produit 6 800 porcs de trop tous les ans.
Le Préfet ne fait pas le droit. Une décision préfectorale n’est pas légale par nature… La preuve !
Le Préfet ne fait que délivrer des autorisations qui seront annulées au bout d’un long processus juridique (compter un minimum de 6 ans).
On pourrait aller jusqu’à dire que le Préfet se rend complice d’une illégalité manifeste.

Étape 5 : Endormir la population en lui racontant une jolie fable.

Reprenons notre récit bucolique.
Notre petit paysan du Léon qui nourrit la population locale par sa production « durable » de porcs élevés dans le respect le plus total du « bien être animal », est ennuyé par des affreux écolos bobos.
Croyez-le, le Télégramme le dit bien « Si vous voulez trouver des mégaporcheries, allez en Chine, ici, nous sommes sur une exploitation familiale ».
Une exploitation si vertueuse que tous les pêcheurs de truite du secteur s’y bousculent.

Le Télégramme oublie de préciser que l’eau des rivières de Landunvez est dans un état catastrophique.
Des pesticides en pagaille (étude Labocéa 2018 pour le SAGE), des taux de nitrates et de phosphore inquiétants et des taux de bactéries fécales qui crèvent le plafond à chaque fois qu’il pleut (étude ERB/APPCL/AEPI à partir des données du SAGE du Bas Léon).
Il oublie de dire également que le captage d’eau de la commune est pollué par les nitrates (plus de 70ml/litre) et les pesticides (dont le S-métholachlore), que la ressource en eau est si faible qu’on est obligé d’en appeler à la solidarité des territoires voisins…
Il oublie enfin que la dépollution et l’importation de l’eau ont un coût exorbitant. Ce sont les habitants (les pollués) qui paient une fortune pour que les élevages industriels (les pollueurs) puissent continuer à épandre leurs lisiers sur les bassins versants de nos plages.

En conclusion, à l’heure actuelle, de moins en moins de personnes croient à la communication formatée de Monsieur Bizien par son journal porte-voix, le Télégramme.
Les faits et les preuves déployés par l’APPCL entre autres associations, sont les seuls vrais arguments ayant légitimité dans cette bataille.