Les analyses de « marqueurs », le nouveau joujou de l’élevage industriel

Publié le 01/10/2023

De plus en plus, on entend parler de ces analyses miracles qui permettraient, d’un seul coup, de déterminer la cause d’une pollution bactérienne des eaux douces ou des eaux de baignades.

André Sergent (président de la chambre régionale d’Agriculture) :

à partir de 16 minutes

Verbatim:

« Sur la bactério, nous, les épandages, la saison d’été on en fait très très peu. Par contre, c’est vrai, si on a des animaux qui sont en plein air, on a un risque potentiel effectivement.

On peut mesurer et savoir exactement d’où ça vient.

Et quand on regarde d’où ça vient, notamment dans le département du Morbihan, on voit bien que l’agriculture n’est pas forcément en première ligne… on cherche un bouc émissaire.

L’agriculture à travers les efforts qu’elle a fait depuis de nombreuses années… qu’on vienne pas dire que c’est un problème d’élevage. »

C Colin (Maire de Landunvez)


Ouest France 06/09/2023

C Colin au 20H de TF1 le 12/11/2022 : https://www.tf1info.fr/environnement-ecologie/finistere-l-extension-d-une-porcherie-geante-de-12000-cochons-validee-par-le-prefet-2238268.html

P.Bizien (gérant de la porcherie industrielle Avel Vor de Landunvez)

Par SMS au journaliste de TF1 (même reportage)

Alors donc, André Sergent (président de la chambre régionale de l’agriculture), Philippe Bizien (président d’Evel’Up, d’Inaporc et exploitant de la porcherie industrielle Avel Vor de Landunvez) et Christophe Colin le maire de Landunvez qui « n’est pas devenu maire pour protéger Philippe Bizien » s’accordent pour mettre en avant le même argumentaire au sujet des causes de pollution des eaux de baignade.

D’après eux, il existerait des analyses miracles qui permettraient de déterminer à coup sûr la cause des pollutions des eaux, les fameuses analyses de « marqueurs »

Alors, pourquoi se compliquer la vie à faire des comités de pilotage, pourquoi payer très cher des études scientifiques pour rechercher les causes des pollutions ?

Nos trois experts en bactériologie ont une solution toute trouvée, il suffit de faire des analyses de marqueurs et on verra bien que l’agriculture n’y est pour rien.

Mais ces marqueurs permettent-ils vraiment de discriminer les causes d’une pollution ? Permettent-ils vraiment d’innocenter telle ou telle source de pollution potentielle ?

Ne nous mènent-ils pas tous en bateau ?

Nos responsables ne dépensent-ils pas un pognon de dingue à pure perte pour servir la soupe aux éleveurs industriels ?

Tentons de répondre point par point à ces questions.

1) les analyses de marqueurs, c’est quoi ?

L’Agence Régionale de Santé est chargée d’appliquer la directive européenne sur les eaux de baignade (2006/7/CE).

Elle mesure, dans les eaux de baignade, les concentrations de deux bactéries témoins de la pollution fécale : E.Coli et Entérocoques.

Les fameux « marqueurs » que plébiscitent la FNSEA et certains maires sont aussi des bactéries fécales mais attention, ce ne sont ni des E.Coli, ni des Entérocoques !

Pour simplifier, chaque marqueur est une bactérie qui vit spécifiquement dans le tube digestif d’un animal particulier.

Ainsi, le marqueur Rum-2-Bac est une bactérie spécifique des ruminants. Pig-2-Bac est spécifique des porcins et HF-183 est spécifique des humains

C’est Ifremer qui a en partie développé cette technique.

La recherche de marqueurs fait partie d’une « boite à outils » dont disposent les scientifiques pour étudier les causes des pollutions bactériennes des cours d’eau.

Mais attention !!!!!

Les marqueurs n’ont pas la même durée de vie que les bactéries témoins qu’utilise l’ARS. Ils ne sont pas sensibles aux même phénomènes physiques et biologiques qu’E.Coli et Entérocoques.

Les chercheurs qui ont développé cette technique insistent dans leurs publications : Il ne s’agit pas d’un outil miracle. Il s’agit d’une possibilité offerte aux scientifiques, qui est à utiliser uniquement dans des conditions particulières et dans le cadre de protocoles de recherches bien définis et prescrits par les scientifiques eux mêmes.

Michèle.Gourmelon, l’une des plus éminente spécialiste du sujet l’écrit dans une publication de 2014 « Etude de la contamination microbiologique du milieu littoral : identification des sources de contamination fécale et évaluation de la persistance des bactéries entériques dans l’environnement »

(https://archimer.ifremer.fr/doc/00256/36764/35369.pdf)

« les résultats acquis au cours de ces essais en microcosmes montrent que les marqueurs Bacteroidales semblent persister suffisamment longtemps dans les eaux environnementales pour permettre l’identification de l’origine d’une contamination fécale récente dans l’environnement. Toutefois, l’utilisation conjointe des autres marqueurs testés, sous la forme d’une « MST toolbox » ou d’une « boite à outils de marqueurs » peut s’avérer intéressante pour palier à une absence de résultats du fait de la faible persistance possible pour certains marqueurs dans l’environnement sous certaines conditions (par exemple, plus faible persistance du marqueur Bacteroidales associé aux porcs Pig2Bac que celle du marqueur L.amylovorus)»

Ces marqueurs ne permettent donc pas de déterminer l’origine d’une pollution qui n’est pas récente.

S’ils sont adaptés pour détecter la participation des bouses de vaches déposées la veille le long d’un ruisseau ou encore une fuite continue d’une canalisation d’eaux usées, ils ne permettent absolument pas de d’identifier les épandages de lisier s’ils ont été réalisés plusieurs jours avant le prélèvement d’eau.

En résumé, les marqueurs n’ont pas la même durée de vie que les bactéries témoins de l’ARS.

Le marqueur porcin, par exemple, meurt très rapidement dans l’environnement (on ne peut le détecter que 1 à 2 jours après son introduction).

Or, cela ne vous aura pas échappé, il n’y a quasiment jamais de porcs dans les champs. Ils sont parqués dans des bâtiments fermés.

Leurs déjections sont stockées puis déversées sur les champs lors des épandages qui ont souvent lieu en mai et juin puis au mois de septembre.

Donc, comme le marqueur porcin disparaît rapidement, il n’est détectable que quelques heures voire 1 ou 2 jours après l’épandage.

Comme le maïs pousse durant l’été (juillet et août), il est très rare que des épandages soient réalisés durant cette période.

Si vous voulez dédouaner les élevages industriels porcins, qui épandent des quantités folles de lisier sur les bassins versants des plages, il suffit donc de faire réaliser des analyses de marqueurs durant la saison estivale.

Marqueur en juillet, porcin innocenté ! Pourrait être le mot d’ordre.

Pour détecter du porcin en juillet, il ne faut pas chercher du côté des épandages mais plutôt d’une fuite fraîche depuis un site d’élevage, ce qui est rare et accidentel, bien heureusement.

2) Mais dites donc, les bactéries fécales E.Coli et Entérocoques, ça vit combien de temps dans le sol ?

C’est effectivement la bonne question à se poser.

Puisque les marqueurs disparaissent rapidement après un épandage, quid des bactéries témoins recherchées par l’ARS dans les eaux de baignade ?

Nous avons lu plusieurs études scientifiques qui abordent cette question. Elles s’accordent sur le fait que ces bactéries survivent très bien dans le sol après un épandage. Les scientifiques estiment qu’en fonction des conditions, leur survivance peut se compter en mois !

Extraits de publications scientifiques :

Survival of manure-derived pathogens in soil (D.Cools…)

http://ramiran.uvlf.sk/doc98/FIN-POST/COOLS.pdf

« La recherche a montré qu’en raison d’une forte abondance en nutriment, les bactéries peuvent survivre plusieurs mois dans la couche superficielle (Trévisan et al, 2002). La survie va dépendre selon que la texture soit fine ou grossière (Artz et al, 2005), et de la nature du sol (argileux, organique, sableux) (Olivier et al, 2005). »

Récapitulons :

Les bactéries E.Coli et entérocoques vivent très longtemps dans le sol après un épandage mais les marqueurs disparaissent très vite.

Que se passe-t-il donc quand une forte pluie survient durant l’été sur un bassin versant très agricole d’une plage ?

La pluie mouille le sol dans un premier temps puis ruisselle en emportant de la terre et le film bactérien qui y a été déposé.

Comme les bactéries E.Coli et Entérocoques vivent longtemps dans le sol, elles se retrouvent en grand nombre dans cette eau qui rejoint les rivières puis la plage.

Si vous réalisez une analyse de marqueurs à ce moment là, vous n’avez aucun risque de détecter du marqueur porcin, le tour est joué.

3) Les analyses de marqueurs sont-elles en mesure d’innocenter une source potentielle de pollution ?

Non ces analyses de marqueurs ne sont capables de détecter que les pollutions fraîches.

Ne pas détecter un marqueur ne signifie donc pas que l’animal peut être innocenté.

D’ailleurs, pour en avoir fait réaliser beaucoup, le maire de Landunvez devrait le savoir

Voici un exemple de résultat d’analyse de marqueurs :

La pollution mesurée dans la rivière du Château à Landunvez le 15 juillet 2019 était massive, 191 240 Npp/100ml d’E.Coli !!!!!

Et pourtant, Labocéa n’a détecté ce jour là ni le marqueur humain, ni le marqueur porcin, ni le marqueur ruminant. (seul un résultat « confirmé » révèle la présence du marqueur)

Comme on ne peut pas accuser les oiseaux de mer de venir se soulager dans l’eau du ruisseau, comment expliquer cette pollution massive si, ni les hommes, ni les vaches, ni les cochons n’en sont la cause ?

C’est peut-être du côté de la pertinence de l’analyse qu’il faut se tourner, non ?

La date de cette analyse peut nous donner un indice : le 15 juillet, les derniers épandages ont eu lieu près d’un mois auparavant. Le marqueur porcin n’avait donc aucun risque d’être confirmé…

La non détection d’un marqueur ne peut donc en aucun cas servir à écarter une cause potentielle de pollution.

( C’est comme certifier que Lance Armstrong ne s’est jamais dopé parce qu’il n’a jamais été contrôlé positif… )

Quand le maire de Landunvez annonce au micro de TF1 « que lors des 3 dernières années, il y a eu aucune pollution d’origine agricole sur la plage du Château », il se trompe ou il nous balade.

Au mieux aucune analyse de marqueur n’aurait confirmé le marqueur porcin ou ruminant mais ce n’est même pas le cas, cette analyse du 17 juin 2020 le démontre :

Une pollution aux E.Coli est détectée, et 2 marqueurs d’origine agricole sont confirmés le porcin et le ruminant.

La date de ce prélèvement est intéressante, le 18 juin 2020. Un épandage aurait très bien pu avoir été réalisé sur le bassin versant quelques heures avant le prélèvement d’eau.

Très étonnamment, on n’a plus jamais réalisé d’analyses dans le ruisseau du château durant le mois de juin depuis…

Et plus étonnant encore, cette analyse, que nous avions réussi à nous procurer, n’apparaît pas dans le « profil de baignade » de la plage du Château révisé en 2022.

C’est comme si on essayait vainement de détourner le projecteur des causes agricoles.

Extrait du profil de baignade 2022 de la plage du Château : l’analyse du 17/06/2020 n’apparaît pas…

Tout scientifique décelant du marqueur porcin courant juin aurait ciblé cette période pour confirmer ou infirmer l’hypothèse de la cause liée aux « épandages agricoles ».

En effet, la cause « épandage » est la plus évidente quand on étudie la configuration du bassin versant de cette plage.

Extrait du profil de baignade de la plage du Château :

« La plage du Château présente une zone de baignade influencée par un bassin versant de 259 ha ; […] mais est majoritairement constitué de surfaces consacrées à l’activité agricole (91,5%). »

Au lieu de cela, plus aucune analyse n’a été réalisée depuis au mois de juin et elle sont dorénavant réalisées en majorité dans l’eau de mer alors que le mélange des eaux dégrade les conditions de recherche de marqueurs.

4) Que signifie la présence d’un marqueur dans un échantillon d’eau ? A-t-on trouvé la cause de la pollution ?

Non ! Pas du tout.

La présence d’un marqueur révèle tout au plus la participation d’un animal à la pollution.

Cela révèle en fait que l’animal a séjourné à proximité du lieu du prélèvement d’eau au cours des quelques heures qui l’ont précédé.

D’ailleurs, l’étude des résultats d’analyses de marqueurs réalisées récemment pour le maire et la CCPI le démontre de façon assez évidente.

Le coupable de la pollution serait donc, roulement de tambour… Les humains…Les ruminants…Les porcs et les oiseaux de mer !

Tout le monde a gagné !

Quand on sait qu’une analyse de marqueurs coûte entre 300 et 400€, cela fait cher pour obtenir une informations aussi vaseuse.

Tous les scientifiques s’accordent à dire que la pollution fécale provient du ruisseau mais on recherche les marqueurs dans l’eau de mer… pour en arriver à déceler la présence d’oiseaux marins. Wahou, le scoop.

Des oiseaux marins vivraient donc sur le littoral ?

Soyons sérieux, ils sont bien incapables de générer un flux bactérien suffisant pour polluer les eaux de baignade de la plage. Par contre, les déjections des milliers d’animaux épandus sur le bassin versant sont seuls en mesure de polluer un tels volume d’eau.

Rappelons qu’en terme d’introduction dans l’environnement de bactéries E.Coli, 1 porc = 30 équivalents habitants. (Ifremer)

5) Laissez les scientifiques œuvrer ; pour qui, pour quoi dépenser autant d’argent public ?

Nous avons bien compris pourquoi les tenants de l’agriculture industrielle plébiscitent l’utilisation de ces analyses de marqueurs, elles ne désignent quasiment jamais les causes qui les dérangent (si on les réalise au moment inopportun…)

Pour autant, nous ne sommes par en train de dire que ces analyses ne valent rien, elles sont très utiles aux scientifiques qui les utilisent honnêtement lors d’études au long cours.

Il ne viendrait pas à l’esprit du quidam moyen d’utiliser un spectroscope de masse, un échographe ou un électrocardiographe…

De la même manière, ces analyses de marqueurs PCR sont des outils professionnels.

Se faire élire à la tête d’une mairie, d’une collectivité ou d’un syndicat agricole ne vous octroie pas d’un coup de baguette magique un bac + 10 en bactériologie.

Alors, de grâce, laissez les spécialistes faire leur travail et restez à votre place.

Les analyses de marqueurs doivent uniquement être prescrits et interprétés par des professionnels compétents, dans le cadre d’études scientifiques indépendantes.

De toute évidence, ce joujou qui fait l’unanimité parti les supporters des élevages industriels a été détourné de son usage pour tromper la population non avertie… vous voici avertis !